CI: Que signifie le nom Burckhardt pour toi ?
SCH: Toute une vie de travail. Et une identification qui n’était pas très prononcée au départ car Burckhardt n’était pas vraiment ma destination de prédilection.
CI: Quelle était-elle alors ?
SCH: En 1985, je voulais aller chez Herzog & de Meuron. À l’époque, j’ai appelé Pierre de Meuron pour lui demander s’il avait un poste pour moi. Il m’a répondu par la négative parce que, à ce moment-là, ils n’avaient pas assez de travail et ne pouvaient embaucher personne. Il m’a renvoyé vers Pierre Schär de Burckhardt, me disant qu’ils cherchaient du monde. J’ai donc contacté ce dernier, et on s’est rencontré. Nous avons rapidement convenu de travailler ensemble. Mais il voulait d’abord en parler avec Hans Riedi qui dirigeait alors le département «Industrie». J’ai donc été convié à la Peter Merian-Strasse pour faire sa connaissance. À sa question de savoir si je faisais aussi des constructions industrielles, j’ai répondu que non, mais que j’étais prêt à le faire et il m’a alors annoncé que j’étais embauché.
Mon rapport à Burckhardt a rapidement changé : j’ai toujours été assez critique, mais également un peu du genre «fou du roi». C’est-à-dire que j’ai rapidement occupé une position dans laquelle on m’a fait confiance parce que mes prestations avaient été à la hauteur des attentes. N’étant pas aux manettes, mais malgré tout dans une certaine position de force, je pouvais en outre me permettre de pointer du doigt certaines choses, comme l’aurait fait un fou du roi.
CI: Vous jouissiez pour ainsi dire d’une liberté folle.
SCH: Oui, on m’a laissé toute latitude. J’ai même refusé de devenir partenaire lorsqu’on me l’a proposé la première fois. Je trouvais que le positionnement du bureau n’était pas encore tout à fait au point et qu’il fallait investir davantage dans l’architecture et les thématiques culturelles. Mes critiques ayant trouvé écho, je suis devenu partenaire un an plus tard. À l’époque, il n’y avait pas encore de sélection en matière de succession, comme c’est le cas aujourd’hui. Le prédécesseur désignait tout bonnement son successeur, comme Hans Riedi l’a fait avec moi. Il souhaitait prendre sa retraite dès 1993, à l’âge de 54 ans, et m’a simplement annoncé un jour que le moment était venu pour moi de prendre la relève. J’avais à peine 35 ans.
CI: Et ensuite ?
SCH: J’avais en tête de mener à bien quelques gros projets chez Burckhardt, puis de tracer ma route. J’ai effectivement pu réaliser des projets d’envergure, comme des grands bâtiments administratifs ou de production pharmaceutique. Des domaines qui m’étaient totalement étrangers au début et que j’ai dû approfondir, ce qui fut passionnant. Il faut dire que j’ai toujours été entouré de personnes compétentes desquelles j’ai beaucoup appris. C’est ainsi que je suis resté et que j’ai renoncé à tenter l’aventure ailleurs.
CI: Quelles constructions ont marqué ton passage chez Burckhardt ?
SCH: La plus marquante restera le bâtiment R-1008 de l’espace Rosental. Le projet consistait à réaliser une extension d’un plan directeur du début des années 1960, qui sera finalement achevée entre 1988 et 1990. Il s’agissait d’une interprétation modernisée de ces bâtiments, avec des façades en béton apparent et quatre halles à deux étages. Empilées les unes sur les autres et hautement complexes sur le plan de la protection incendie, ces constructions présentaient, à mes yeux pour la première fois depuis longtemps, une vraie exigence architecturale. Une exigence qui, selon moi, faisait largement défaut chez Burckhardt dans les années 1980.
Avant, dans les années 1950 à 1970, il y avait des projets passionnants, qui possédaient leur propre patte, une ligne claire, une certaine rationalité et une réelle fonctionnalité – en somme, une vraie aura architecturale. Cet esprit a fini par s’évanouir, Martin Burckhardt n’étant plus en mesure de continuer à le faire vivre ni, du fait de son côté relativement dominant, disposé à avoir à ses côtés d’autres architectes de talent. De tels profils en arrivaient donc soit à quitter le navire, soit à changer d’employeur. Cela correspondait plus ou moins à l’époque du postmodernisme, dont les ambitions étaient plutôt mesurées. S’ensuivra, dans les années 1990 et 2000, la tentative de poser à nouveau des jalons architectoniques et de générer une plus-value architecturale.
CI: Comment décrirais-tu en quelques mots les sept décennies d’existence de Burckhardt, toi qui en as passé près de quatre dans la société ?
SCH: Oui, me concernant, j’y ai passé 38 années de ma vie. Je résumerais les différentes décennies ainsi :
Années 1950: phase prospère dans le sillage de la création du bureau
Années 1960: stabilisation de l’activité dans le secteur chimique et pharmaceutique à un haut niveau architectural
Années 1970: brutalisme avec du béton en masse
Années 1980: quête architecturale
Années 1990: début d’un tournant
Années 2000: influence positive de Heinz Moser à Zurich, avec une architecture en verre très rectiligne et une végétalisation des façades
Années 2010: stabilisation de l’activité sur une large base et exigence de qualité architecturale
À cela s’ajoutent des étapes clés, comme la création de la SA, l’arrivée des partenaires et le coup dur qu’a été le départ d’Edi Bürgin et de Timmy Nissen. Ce dernier événement s’est ressenti dans les années 1980, parce que l’expertise architecturale ne venait pas uniquement de Martin Burckhardt, mais également de ces deux personnes, d’où le vide qu’ils ont laissé en quittant Burckhardt.
Autre coup de massue, la crise du pétrole, qui a eu des répercussions sur les effectifs, avec des licenciements qui ont profondément affecté Martin et d’autres. On a d’ailleurs du mal à s’imaginer la situation de l’époque. En fait, je n’ai pratiquement connu Burckhardt qu’en phase ascendante. Nous autres, enfants du baby-boom, avons travaillé au cours d’une période faste. Je n’ai pas connu la crise du pétrole, et je considère comme un privilège d’avoir exercé dans un contexte qui n’était pas forcément défavorable ou exigeant.
Autre étape importante : la convention d’actionnaires, qui a fait passer l’entreprise de quatre partenaires à plusieurs partenaires et deux autres catégories de parties prenantes.
Car ce qui caractérise également Burckhardt, c’est d’appartenir aux collaboratrices et collaborateurs, et non à des personnes extérieures. Ainsi, les décisions ont toujours été prises dans l’optique d’un développement prospère et non d’une maximisation des bénéfices à court terme. Au début des années 1990, nous n’affichions pas une très bonne santé économique, et Bâle connaissait une phase de stagnation, avec un climat plutôt frileux. La ville n’avait pas de grandes ambitions, contrairement à aujourd’hui. Une période qui m’a semblé léthargique, qu’il aura fallu surmonter bon an mal an. Puis vint la reprise, avec le constat appréciable d’être de nouveau pris au sérieux en tant qu’architecte. Longtemps, Burckhardt avait la réputation d’être «beau et cher». Or, en architecture, «beau» ne signifie pas automatiquement «de qualité».
CI: Que représente l’architecture pour toi ?
SCH: La réponse apportée aux besoins d’espace. Autrement dit, le fait de chercher des solutions pour rendre la vie des gens meilleure et plus agréable, que ce soit au niveau de leur logement, de leur lieu de travail et, bien sûr, des loisirs. Un architecte doit avoir à cœur de créer des espaces et des bâtiments qui satisfont certes à une certaine esthétique, mais qui éveillent aussi des émotions. Ce métier nous donne d’ailleurs un privilège incroyable, puisque le résultat de notre travail est non seulement visible, mais il est également habité, animé et utilisé. D’où cette énorme responsabilité qui est la nôtre, car les gens doivent vivre et composer avec ce que l’architecte leur livre.
Et je suis convaincu que l’architecture a toujours un lien avec l’art et la culture. Ne pas établir ce lien, et limiter l’architecture à un processus de construction serait, selon moi, réducteur. L’architecture faisant partie des beaux-arts, on ne peut pas ne pas s’intéresser à ses pairs du monde de la culture et aux tendances qui les animent. Car tous ces éléments se nourrissent et s’inspirent mutuellement dans une interaction permanente.
CI: Comment terminerais-tu cette phrase ? «Martin Heinrich Burckhardt était …»
SCH: L’image que j’ai de lui n’est sûrement pas aussi précise que celle des autres personnes interviewées. Mais je dirais qu’il avait une personnalité incroyablement forte, que c’était un fonceur, animé par l’envie d’agir. Son attachement à l’art et à la culture avait également contribué à forger sa personnalité. Comme évoqué précédemment, je n’ai pas été souvent en contact avec lui personnellement. Mais je me souviens d’un épisode qui m’est arrivé alors que j’étais encore un jeune architecte. J’avais été invité à participer à un séminaire à Bigorio, au Tessin. Tous les partenaires importants de Burckhardt étaient réunis, je ne me sentais pas du tout à ma place. Nous avons enchaîné les films sur l’architecture postmoderne. Et alors que Paul Waldner était sur le point de vouloir passer un énième film sur le sujet, je leur ai fait remarquer que, en tant qu’architectes, nous ne devions pas nous contenter de regarder tout cela de manière passive, mais qu’il serait bon de commenter les images et d’échanger nos points de vue. Un silence de mort a soudain régné dans ce couvent tessinois. Et comme personne ne disait rien, j’ai dû continuer à argumenter et à expliquer pourquoi ces échanges me semblaient importants pour notre travail, et ainsi de suite. Dans la foulée, Martin Burckhardt a pris la parole pour dire : «Je crois que le jeune homme a raison». C’était une sorte d’adoubement de sa part. À partir de là, j’ai eu un tout autre statut au sein de Burckhardt.
CI: Qu’est-ce qui fait l’ADN de Burckhardt ?
SCH: Ce qui distingue Burckhardt, c’est qu’on y planifie et réalise les projets en fonction des besoins. On construit pour les utilisatrices et utilisateurs, et non dans l’idée d’ériger un monument à sa propre gloire. On se considère comme un prestataire et non, en premier lieu, comme un artiste. Car les architectes qui se disent artistes ne se considèrent pas comme des prestataires. Des prestataires, il en existe d’ailleurs différents types. En architecture, il s’agit de répondre à des besoins avec compétence, tant sur le plan de la technique que de la conception.
Outre cet ADN de prestataire, Burckhardt cultive un champ d’application particulièrement vaste – développement de projets immobiliers et de sites, planification et mise en œuvre, le tout avec un haut niveau de qualité et une parfaite maîtrise de la complexité. Autant de paramètres qui exigeaient une bonne collaboration et une vraie cohésion, qui elles-mêmes supposaient une bonne information et un travail à l’unisson des différentes parties.
Je suis convaincu que Burckhardt a fonctionné ainsi dès sa création, en réalisant des projets complexes avec une équipe solide, en mettant l’accent sur l’aspect fonctionnalité et en faisant preuve d’une vraie exigence en matière de conception et de construction. Si cet esprit a momentanément disparu, il a pu être restauré et le bureau a retrouvé cette exigence architecturale.
CI: A certains moments plus artiste prestataire, à d’autres plus prestataire artistique.
SCH: Oui, c’est ça, c’est merveilleusement bien résumé. Selon moi, l’important est de maintenir un certain équilibre : il faut avoir l’ambition d’être plus qu’un simple prestataire tout en ayant l’humilité de ne pas se penser uniquement «artiste», mais «prestataire» également.
Car il existe différentes manières créatives d’aborder un travail ou un problème.
Samuel Schultze
CI: À part cela, que t’ont appris ces 38 années passées chez Burckhardt ?
SCH: L’importance d’avoir les bons éléments dans la société, à savoir des gens créatifs, animés par l’envie de trouver des solutions. Quand je parle ici de créativité, je fais référence à une notion qui dépasse le design. Car il existe différentes manières créatives d’aborder un travail ou un problème. J’inclus aussi les personnes curieuses, intéressées par les changements et les évolutions, capables de voir plus loin que le bout de leur nez et prêtes à accepter de nouvelles tâches et des défis pour sortir du train-train. Car agir par habitude vous donne des œillères. J’ai beaucoup de respect pour les personnes prêtes à endosser des responsabilités et à relever des challenges. Il faut bien sûr les encourager dans cette voie. Car je reste convaincu que les gens apprécient d’être mis à l’épreuve et de pouvoir être fiers, le soir venu, de ce qu’ils ont accompli dans la journée ou d’avoir pu résoudre l’après-midi un problème qu’ils ne savaient pas comment aborder le matin. Bref, d’avoir la possibilité de prendre conscience de ses propres capacités et de ses progrès.
Il faut des collaboratrices et collaborateurs créatifs, constructifs et critiques, telle est la clé du succès. Les uns doivent être prêts à transmettre leur savoir, les autres disposés à se l’approprier.
Samuel Schultze
CI: Que signifient pour toi les mots esprit d’équipe et partenariat ?
SCH: L’esprit d’équipe est important, mais il ne peut se substituer au savoir-faire. L’esprit d’équipe et un haut degré de motivation font partie des conditions de base, au même titre que la performance. D’après moi, on ne peut compenser un manque de compétence par l’esprit d’équipe ou par des méthodes de travail. Ces deux notions sont certes essentielles, mais elles présupposent toujours certaines compétences et aptitudes. Bien penser la manière dont on constitue les équipes peut évidemment accroître le niveau de savoir-faire. Cela nécessite des échanges ainsi qu’une vraie capacité d’apprentissage et de développement. Il faut des collaboratrices et collaborateurs créatifs, constructifs et critiques, telle est la clé du succès. Les uns doivent être prêts à transmettre leur savoir, les autres disposés à se l’approprier.
L’éventail de prestations de la société couvre l’intégralité des phases SIA et a même été élargi grâce aux filiales.
Samuel Schultze
CI: Notamment parce qu’aujourd’hui on ne pourrait plus tout faire soi-même de A à Z, quand bien même on le voudrait ?
SCH: Certes. La division du travail est plus prononcée aujourd’hui. On peut le déplorer : autrefois, le constructeur était un généraliste et, entre autres, architecte. Aujourd’hui, l’architecte est souvent cantonné au rôle de concepteur ; il n’est plus le maître du jeu, puisque c’est le planificateur général qui a toutes les cartes en main. Cette évolution est regrettable, mais l’architecte en est en partie lui-même responsable puisque, au fil du temps, il a accepté de céder de plus en plus de responsabilités – des tâches dont il ne raffolait pas vraiment, comme le contrôle des coûts, des délais ou de la qualité. Il a ainsi déroulé le tapis rouge à d’autres intervenants qui se sont chargés de ces missions, notamment de la direction des travaux, si bien que l’architecte, s’il n’était pas un grand nom, a fini par être relégué au rang de concepteur.
Au cours de mes quelque 40 ans de carrière, ces spécialisations se sont généralisées au point qu’il ne reste plus qu’une poignée de cabinets qui font tout eux-mêmes, la plupart ne proposant plus qu’une partie des prestations. Il faut respecter leur choix, même si Burckhardt a toujours affiché sa volonté d’assumer l’ensemble de la chaîne. L’éventail de prestations de la société couvre l’intégralité des phases SIA et a même été élargi grâce aux filiales.
CI: Y a-t-il d’autres étapes clés du développement de Burckhardt qui méritent d’être mentionnées ?
SCH: Le bureau d’architecture de Martin Burckhardt a connu une évolution positive jusqu’à aujourd’hui. La société a su se diversifier, ce qui lui assure une meilleure stabilité et lui permet de rester performante même dans des périodes économiques plus difficiles. Elle a toujours su trouver de nouvelles ressources et s’assurer ainsi de bonnes perspectives sur le plan des bénéfices. Le fait de reposer sur plusieurs piliers lui confère une bonne assise. La société est en très bonne santé.
Dans les années 1990, Peter Epting gérait le bureau avec «une main de fer», à juste titre, car ce n’était pas le moment d’expérimenter. J’évoque cet épisode parce que le bureau a également traversé une phase de conflit au sujet de l’orientation qu’il devait prendre. Il fallait faire un choix : oser expérimenter et rester à la pointe de l’innovation ou suivre le mouvement et continuer à observer le progrès d’un œil curieux.
Une autre question était de savoir combien de liberté accorder aux collaboratrices et collaborateurs dans le choix des outils de travail et leur mise en œuvre. Beaucoup d’argent a été investi dans des formations, et la numérisation nous a occupés un bon moment.
CI: À ce propos, peux-tu nous en dire plus sur les autres sites suisses, comme Zurich ou Berne ?
SCH: Le bureau s’est installé à Zurich pour avoir un pied dans le plus grand pôle économique de Suisse et réaliser des projets architecturaux ambitieux. Mais aussi et surtout parce qu’une banque venait de nous y confier un gros mandat. Sous la houlette de Guido Doppler, le bureau de Zurich s’est vite agrandi pour atteindre un effectif de 60 personnes. Zurich a connu de très bons résultats, mais en faisant cavalier seul, le bureau axant surtout son travail sur la conception et la planification. Cela a certes contribué à son succès, mais ne cadrait pas forcément avec la philosophie Burckhardt. Au début du nouveau millénaire, cela a abouti à l’éviction de Roger Nussbaumer, alors partenaire et directeur du site. Le bureau s’est longtemps reposé sur son succès concurrentiel mais, ces dernières années, la situation s’est stabilisée à un niveau relativement bas. Le site s’est spécialisé dans la planification et il délègue les prestations liées à la direction et à l’exécution des travaux, ce qui limite son offre, mais aussi son potentiel de développement.
Le bureau de Berne est davantage le fruit d’un heureux hasard, car il a vu le jour suite à la faillite de Suter + Suter. Grâce à différents canaux et relations, Burckhardt a pu reprendre à Berne la majorité du personnel en place, de même que divers mandants.
Même scénario en Suisse romande avec tk3, l’entreprise qui a succédé à Suter + Suter AG et que Burckhardt a également pu reprendre, moyennant, cette fois, le versement d’une somme à Thyssenkrupp SA.
CI: Quid de l’étranger ?
SCH: Cette période de reprises a fait place à une sorte de «ruée vers l’or» à Berlin. Nous avons voulu nous appuyer sur Emch+Berger pour nous y implanter ; un bureau d’ingénieurs, qui pensait, lui, que nous pourrions compenser ses déficits de gestion organisationnelle. Le bureau Burckhardt, Emch+Berger n’aura finalement jamais réussi à prendre son envol. Nous avons certes eu le mandat de rénover le Bendlerblock, l’actuel siège secondaire du ministère allemand de la Défense, mais des problèmes ont surgi et, au final, Burckhardt était soulagé de pouvoir rendre les actions sans rendement et de s’en sortir sans trop de casse.
En fin de compte, chaque engagement à l’étranger nous a donné du fil à retordre – à l’exception des projets que Martin Burckhardt avait réalisé à titre individuel pour Geigy ou Sandoz à travers le monde, qui ont eux connu une belle réussite.
À la fin des années 1980, on a également voulu installer un site à New York, avec Samuel Meier brièvement à la direction, pour un projet de transformation pour UBS. Mais celui-ci n’a jamais vraiment décollé non plus.
Puis, en 2015, nous avons eu la possibilité d’acheter un bureau à Berlin, la société Reiner Becker GmbH. Elle affichait une belle réussite dans le domaine des bâtiments de recherche et d’enseignement supérieur ; nous nous complétions bien. Reiner Becker avait, en outre, un carnet de commandes bien rempli et le vent en poupe. Après le départ de Reiner Becker, une nouvelle direction a été mise en place avec Carsten Krafft et Daria Grouhi. Wolfgang Hardt s’est ensuite attelé avec succès à la réactivation du site de Berlin – avec un vrai gain de qualité concernant les projets et la qualification du personnel. Le nombre d’acquisitions réussies ainsi que la compétence des effectifs et la qualité des projets ont connu une nette augmentation.
Il ne reste plus grand-chose des autres ambitions internationales. Aujourd’hui, on a une approche plus réaliste et plus pragmatique : Burckhardt est implanté en Suisse et en Allemagne, et on se rend ponctuellement à l’étranger avec des maîtres d’ouvrage si l’opportunité se présente.
L’avenir n’en relèvera pas moins du challenge, parce que les tâches confiées aux architectes deviennent de plus en plus exigeantes et complexes.
Samuel Schultze
CI: Que pourrais-tu souhaiter à Burckhardt pour l’avenir ?
SCH: Je ne peux que lui souhaiter de retrouver sa renommée de bureau d’architecture haut de gamme, aussi bien à l’externe qu’en interne. Et de redevenir plus compétitif. Je suis persuadé que nous sommes en bonne voie et qu’un grand nombre de collaboratrices et collaborateurs de talent ont pu être recrutés à cet effet. L’avenir n’en relèvera pas moins du challenge, parce que les tâches confiées aux architectes deviennent de plus en plus exigeantes et complexes, qu’elles concernent le développement durable, la réutilisation, le fait de préférer la transformation à la démolition etc. Beaucoup de choses ont changé en très peu de temps, surtout sur ce que l’on considère désormais comme juste ou faux. Un bureau comme Burckhardt doit savoir traiter avec sensibilité et réactivité ces thématiques qui représentent un vrai défi.
CI: Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le métier ?
SCH: D’aborder chaque tâche avec curiosité et créativité, ce qui suppose une vraie volonté d’apprendre et une soif de connaissances. Il faut être prêt à assumer des responsabilités et bien connaître ses propres limites. Il faut également savoir rester flexible et ouvert d’esprit : au départ, la plupart des gens n’ont que la construction de logements en tête, mais un autre domaine pourrait mieux correspondre à leur personnalité. Si, au début de ma carrière, j’avais su tout ce qui m’attendait, je ne m’en serais sans doute pas cru capable, et je n’aurais sûrement pas osé me lancer. Heureusement, à l’époque, j’avais le «bénéfice de l’ignorance».
Il n’en demeure pas moins que je dis toujours que nous exerçons le plus beau métier du monde au vu de toutes les facettes qu’il recouvre – de la conception à la construction, en passant par la coordination et la communication. En tant qu’architecte, on est tantôt prestataire de services, tantôt concepteur, formateur ou élève et, parfois même, psychologue. Nous avons une grande responsabilité, mais c’est précisément ce qui fait le charme de notre métier d’architecte.
CI: De quoi es-tu fier ?
SCH: D’avoir réussi à remettre l’architecture au premier plan, notamment par le recrutement de bons éléments auxquels nous avons donné une vraie liberté créative. En somme, que de simple «bureau d’exécution», nous soyons redevenus un bureau d’architecture digne de ce nom. En matière de recrutement, je pense avoir eu la main heureuse, car j’ai pu engager des profils de qualité, que ce soit aux postes d’architectes, de chefs de projet ou d’assistants. Ils m’ont soutenu dans mon travail, nous avons eu une vraie complémentarité. Je me reconnais également le mérite d’avoir clarifié les choses à l’échelle des partenaires et de la direction, le tout en apportant quelques nouveautés majeures qui ont permis de résoudre certains problèmes. Et je suis toujours soucieux de rapports respectueux basés sur l’ouverture d’esprit et la transparence. La participation à la vie culturelle, et plus particulièrement l’accès à la culture pour le personnel, revêt une grande importance à mes yeux.
CI: Si, après tout ce que tu as vécu, tu pouvais revenir au jour de l’entretien téléphonique mené avec Pierre de Meuron et qu’il te proposait un poste, quelle serait ta décision a posteriori ?
SCH: Je pense que j’opterais tout de même pour Burckhardt parce que j’y ai trouvé un environnement idéal pour moi en tant que personne. Pour moi, Burckhardt cochait toutes les cases, car la société me correspondait. Je me considère comme un généraliste, quelqu’un qui dispose d’un vaste champ de connaissances, sans toutefois être spécialisé dans un domaine particulier. Je suis ainsi très bon juge en matière d’architecture, mais pas forcément un bon concepteur. Je suis quelqu’un qui sait mettre tous les éléments sur la table, agir comme modérateur et «traducteur» quand les gens ne semblent pas parler la même langue.
Je sais mettre sur un même plan les aspects architecturaux et commerciaux de manière à obtenir un équilibre – une approche que je pense avoir su mettre au service de Burckhardt. Ce sont toutes ces facettes qui me définissent, c’est pourquoi j’aurais bien du mal à vous dire si j’aurais pu être heureux chez Herzog & de Meuron. A priori, je dirais que j’ai pu être plus autonome chez Burckhardt, et que les tâches qui m’ont été confiées me correspondaient mieux.
Il faut croire que j’étais au bon endroit au bon moment. Les choses se sont faites naturellement, sans contrainte ni forcing, pratiquement d’elles-mêmes. Le bureau avait sûrement besoin de moi à ce moment-là, et inversement. Et maintenant, il n’a plus besoin de moi. Je reste convaincu que chaque époque a connu ses temps forts, avec des hauts et des bas qui ont marqué l’histoire de Burckhardt et qui sont aussi l’expression des qualités des différents dirigeants et des priorités qui étaient alors les leurs. Replacées dans le contexte, ces dernières ont toujours été les bonnes et se sont avérées importantes pour Burckhardt.
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